La lettre de Michaël à Jésus

Cher Jésus,
Je prends la liberté de t’écrire pour te faire part de ce qui m’habite depuis tout un temps. J’espère que tu ne m’en voudras pas de te tutoyer : c’est comme cela que je parle à mes amis, et je te considère comme mon ami.
Aujourd’hui – est-ce que tu t’en rends compte ? - un autre évangile a pris la place du tien. Entre les flashes d’informations qui nous jettent aux yeux et aux oreilles, en temps quasi-réel, leurs chapelets de mauvaises nouvelles en tous genres, les spots publicitaires – à la radio, à la télé et maintenant aussi sur Internet – nous distillent tous les quarts d’heure leurs « bonnes nouvelles » de pacotille : lessive miracle, crème anti-âge et pilules de toutes sortes, nouveaux bijoux de technologie grands et petits, les six croix qui changent une vie … j’en passe et des pires !
Les gens du 21e siècle sont déboussolés, ils ne savent plus trop à quel saint se vouer, ils cherchent tous azimuts des réponses à leurs questions existentielles, en quête d’un bonheur qui semble reculer un peu plus à chaque fois qu’on essaie de le faire entrer dans un « pack » bien ficelé, comme un vêtement « prêt à porter ». Le chanteur Alain Souchon a bien résumé cela :
« Oh là, la vie en rose,
Le rose qu’on nous propose,
D’avoir des quantités d’choses
Qui donnent envie d’autre chose …
Aïe ! on nous fait croire
Que le bonheur c’est d’avoir,
De l’avoir plein nos armoires,
Dérisions de nous dérisoires, car …
Foule sentimentale,
On a soif d’idéal,
Attirés par les étoiles, les voiles,
Que des choses pas commerciales … »
Cette foule sentimentale ne te rappelle-t-elle pas celle pour laquelle « ton cœur fut rempli de pitié, car ils ressemblaient à un troupeau sans berger » ? Les églises de nos contrées sont vides, ou presque … on n’y croise le plus souvent que des personnes aux cheveux blancs ou grisonnants. Pour les plus jeunes, la religion, c’est « ringard ». Plus grave : les prêtres de ton Eglise semblent avoir perdu la confiance des gens, à cause des crimes commis par certains d’entre eux, pendant que leur hiérarchie semblait plus préoccupée de défendre les valeurs morales dites « chrétiennes » que de balayer devant sa porte. Du coup, les gourous et les marabouts de toutes sortes prospèrent, les séminaires de méditation et de pleine conscience, inspirés des sagesses orientales, font recette, mais ils ne s’adressent qu’à une élite intellectuelle et sociale. Bref, pour reprendre une image qui t’est chère, « le sel a perdu son goût, il n’est plus bon à rien ; on l’a jeté dehors et les gens le piétinent ».
Eh bien, Nietzsche, Freud et Marx, les fameux « maîtres du soupçon », avaient donc raison ? Le christianisme était une illusion, une aliénation dont l’homme moderne devait se débarrasser, et il semble bien, cette fois, y avoir réussi ! Mais en est-il pour autant plus sage, plus heureux, plus « humain » finalement ? Si « l’on reconnaît l’arbre à ses fruits », alors le bilan est plutôt sombre : le principal « bénéfice » de la Déclaration des droits de l’homme a été de faire apparaître à quel point ceux-ci étaient peu respectés, même dans les pays dits « civilisés » ; les guerres du 20e siècle ont fait à elles seules 230 millions de morts ; 26 personnes aujourd’hui détiennent ensemble autant d’argent que le reste de l’humanité tout entière (8 milliards), 20 % de la population mondiale possède plus de 80 % des richesses et l’écart ne cesse de se creuser entre les plus riches et les plus pauvres, si bien que la moitié des terriens en sont réduits à lutter jour après jour pour leur survie ; la terre a été saccagée, pillée, dévastée, les ressources naturelles ont été confisquées au profit de grands groupes financiers dans le but de satisfaire les désirs des classes privilégiées qu’on a transformées en consommateurs, gaspillant sans souci des matières premières que la terre a mis des milliers, voire des millions d’années à produire ; et maintenant, la terre elle-même nous dit « stop! » : les pénuries commencent à se faire sentir, la température du globe augmente de façon inquiétante, renforçant la force et l’ampleur des catastrophes naturelles et menaçant d’inondations les populations qui vivent au bord de la mer et des rivières …
J’arrête là, c’est trop démoralisant. Et puis je pense que tu es encore bien mieux au courant de tout cela que moi. Alors je m’interroge : ce Royaume de Dieu que tu nous disais déjà là, si proche, où est-il donc passé ? On l’avait naïvement identifié à la Chrétienté, et celle-ci a disparu comme un bateau qui fait naufrage et laisse à la surface de l’eau quelques débris auxquels s’accrochent les marins survivants… ce qu’il reste de tes « pêcheurs d’hommes ». Je me reconnais – et je ne suis pas le seul – dans ces deux disciples d’Emmaüs qui, découragés, tournaient le dos à Jérusalem et se disaient entre eux : « Et dire que nous croyions … ».
Bon sang ! et si, comme eux, 20 siècles plus tard, nous n’avions encore rien compris ? Et si nous nous étions, nous aussi, complètement fourvoyés ? Ah ! si tu déchirais le ciel ! si tu nous rejoignais aujourd’hui encore sur la route pour nous ouvrir le cœur et l’esprit à la compréhension des Ecritures, pour nous faire pénétrer le sens de tes paroles, pour nous rendre attentifs aux signes du Royaume aujourd’hui, pour guider nos pas et ceux de notre humanité égarée à la façon d’un berger attentif aux plus fragiles, aux plus démunis …
Jésus, je vais te faire une demande un peu osée, mais bon ! c’est toi qui l’as dit : « Demandez et vous recevrez … car celui qui demande reçoit. » Alors voilà : tu nous as promis de revenir à la fin des temps, mais la fin des temps – que tes disciples croyaient toute proche – ce n’est pas pour demain ni après-demain, si l’on en croit les scientifiques qui se sont penchés sur la question … Puisque nous allons célébrer bientôt – dans moins de 10 ans – le deux-millième anniversaire de ta mort et de ta résurrection, ne serait-ce pas le bon moment pour nous faire comme une « piqûre de rappel » ? Je suis sûr que tu trouverais les mots justes, des mots d’aujourd’hui, des mots qui « percutent », pour nous sortir de nos ornières, nous remettre sur le bon chemin, nous faire à nouveau goûter la saveur originale de l’Evangile, nous rendre à nouveau contagieux de la bonne nouvelle enfin débarrassée de tous les parasites qui, au fil du temps, ont fini par la rendre inaudible pour les gens « normaux ».
Je ne sais pas comment tu verrais cela d’un point de vue pratique. Je te fais confiance, tu sauras trouver « la bonne approche ». Quoi que tu décides, je dis déjà merci. Tu sais où me trouver.
Bien à toi,
Michaël
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